Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le blogue de Véronique Dubeau-Valade
Derniers commentaires
Archives
24 décembre 2014

Jacques Chancel et Sylvain Floirat

1564871-le-grand-echiquier

Quels hommes !

Antenne 2 rend hommage ce soir à Jacques Chancel et tous les gens de ma génération s'y retrouvent probablement ... 

Il a rendu la culture populaire. Je vois Herbert Von Karajan à une heure de grande écoute ... On découvre alors que "la grande musique" est de la musique tout court, une belle musique ...

Il nous a rendus intelligents ...

Francis Huster pique une colère ... "Quelle honte ... mais quelle honte ...", dit-il en remarquant qu'aujourd'hui il n'y a aucune émission de la qualité du Grand Echiquier ... Que font les chaînes publiques pour la jeunesse ? Quelle émission d'une telle qualité peut-on leur offrir aujourd'hui pour les aider à se construire ? Guy Bedos se joint à lui ...

Oui, Jacques Chancel est un grand homme.

Et un grand professionnel qui fait exemple ...

J'ai la chance d'avoir à la maison un disque d'une de ses interviews de Radioscopie. Je l'écoute fréquemment car le périgourdin qui s'exprime est d'une grande sagesse ... L'intérêt des deux hommes - l'interviewer et l'interviewé - est tel que cet enregistrement fait l'objet d'une analyse dans un document de Ligia Stela Florea intitulé "l'interview comme construction".

Radioscopie Chancel Floirat

3. ENTRETIEN DE J. CHANCEL AVEC SYLVAIN FLOIRAT

3.1. C’est la fin du récit-confidence que Sylvain Floirat fait à J. Chancel lors d’une interview dont nous transcrivons un fragment emprunté a E. Roulet (1989). Il illustre d’une part, la façon dont l’animateur manie le constat provocateur portant sur un détail de la vie intime de son invité pour faire planer une certaine ambiguïté sur sa conduite. Ce texte illustre d’autre part l’habileté avec laquelle le grand industriel français sait détourner à son avantage la stratégie de l’interviewer.

J.C. – Comme Marcel Dassault, vous pourriez avoir un palais à Paris. Or, vous n’avez jamais voulu quitter votre appartement...

S.F. – C’est pour ma femme que je suis resté. Elle est née à Montmartre et elle aime ce quartier comme moi j’aime mon Périgord. Pourquoi voulez-vous que je la dépayse? C’est là qu’elle se plaît. Un jour, je lui avais acheté un appartement boulevard Lannes près de celui de mon gendre et de ma fille. Je lui ai dit: « Il faudrait que tu t’en occupes, que tu voies les décorateurs ». Elle m’a regardé. Deux larmes coulaient sur son visage. J’ai compris, j’ai décidé que je ne lui en parlerai plus jamais. Le lendemain, cet appartement était à vendre... la question était réglée.

Cette séquence dialogale est composée de deux interventions (I) : une I à fonction illocutoire initiative de constat/demande de dire appartenant à J.C. et une I à fonction illocutoire réactive d’information/réponse appartenant à S.F.

Vu la situation d’échange et le contrat de parole de ce dispositif interactionnel, l’assertion négative qui clôt l’intervention initiative de J.C. est à interpréter comme une demande d’explication. Ce que fait du reste S.F. lorsqu’il enchaîne par un énoncé assertif avec clivage, dont le rôle est de placer l’information sollicitée sous l’accent focal.

L’intervention réactive de l’interviewé contient à son tour une I principale à fonction illocutoire d’assertion et une I subordonnée à fonction interactive d’argument qui occupe la plus grande partie de l’échange. C’est là que se construit, à travers une ample séquence narrative, le discours autocentré de Sylvain Floirat.

Il a été suscité non pas tant par la demande d’explication – pour la satisfaction de laquelle l’intervention principale de S.F. aurait suffi – que par le caractère provocateur de l’assertion négative de J.C. Pour ce qui est du sens global de l’intervention de ce dernier, deux hypothèses peuvent être envisagées à partir du projet de parole de ses Radioscopies :

(i) J.C. émet un jugement favorable sur son interlocuteur en suggérant que, si celui-ci n’a pas voulu habiter dans « un palais », comme M.Dassault, c’est peut-être par modestie et par mépris du luxe et des apparences somptueuses qui attisent la curiosité du public;

(ii) J.C. émet un jugement défavorable sur son interlocuteur, vu comme appartenant à la classe des « riches », en insinuant que, s’il n’a pas cédé au goût du luxe et des apparences somptueuses, c’est peut-être par simple caprice, voire par désir de se faire mieux remarquer.

Pour interpréter l’intervention réactive de S.F., on aura recours à la notion de « jeu interlocutif » (cf. Charaudeau, 1984), dont l’enjeu pour les deux interlocuteurs est de « marquer un point » à l’appui de son projet : le questionneur cherchant à pousser son interlocuteur dans ses retranchements pour forcer sa confidence et ce dernier s’employant non pas à esquiver le coup de l’indiscrétion mais à s’en servir pour imposer une certaine image de lui-même.

On va donc considérer l’intervention principale qui met en scène la confidence de Sylvain Floirat comme résultant d’une stratégie de simulation : l'interviewé feint d’entrer dans le jeu de l’interviewer en livrant avec docilité la « mystérieuse raison » de sa conduite singulière. Il accepte de dévoiler malgré lui un peu de son intimité pour se donner ensuite la possibilité (par le recours au récit argument) de se construire une autre image, beaucoup plus avantageuse que celle d’homme modeste, méprisant le luxe, etc.

Plus le récit intime est « touchant » et plus cette image est séduisante pour l’interviewer et son public: image d’un homme attaché à certaines Valeurs, dont la Famille et la Terre natale ne sont pas des moindres. Les détails que l’interviewé fournit à la fin de son intervention viennent confirmer, par leur note sentimentale, cette interprétation.

Je croyais qu’elle tenait à l’ancien (appartement) parce qu’elle voyait le Sacré-Coeur... Je me trompais: « Tu n’y comprends rien, m’a-t-elle dit, ce n’est pas du tout le Sacré-Coeur qui m’intéresse mais plutôt le petit clocher là,  à côté. C’est là que j’ai été baptisée: C’est ici que je suis bien ». Je n’avais pas le droit de lui enlever ce bonheur.

Quelques remarques, pour terminer cette succincte analyse, sur l’orientation argumentative de l’intervention de S.F., une argumentation qui n’est pas soutenue par des connecteurs mais par certains procédés rhétoriques.

3.2. Tout récit est orienté vers une conclusion et c’est dans cette orientation argumentative interne que réside sa dimension configurationnelle (cf. Adam, 1985). Du fait qu’il se déploie à l’intérieur d’une séquence dialogale, le récitconfidence de S.F. a aussi une orientation argumentative externe qui le relie à l’intervention principale de ce dernier.

Il est intéressant d’observer que cette double orientation argumentative est étayée par certains procédés de structuration, moins voyants que les connecteurs, mais non moins efficaces, dont la répétition, le parallélisme syntaxique et l’interrogation oratoire.

Le récit-confidence est encadré par deux segments symétriques à valeur de conclusion : l’un qui anticipe sur le récit, ménageant une transition entre les deux parties de l’intervention (Pourquoi voulez-vous que je la dépayse ? C’est là qu’elle se plaît ) et l’autre qui reprend ces deux énoncés dans un ordre inverse, dont l’un en discours direct, marquant la fin du récit et de l’intervention (« C’est ici que je suis bien ». Je n’avais pas le droit de lui enlever ce bonheur).

L’assertion négative de la fin est une reformulation – plus percutante grâce à la modalisation déontique – de l’interrogation oratoire qui vaut elle aussi pour une assertion négative. Toutes les deux ont, de par leur structure polyphonique, une fonction interpellative à l’endroit de l’interviewer qui se voit attribuer ainsi l’idée de dépayser Mme Floirat et de lui enlever le bonheur de vivre dans le quartier qu’elle aime.

Voilà donc que le questionneur se fait à son tour interpeller et reprendre par celui qui était voué à un rôle de répondeur obligé, ce qui témoigne de la dimension compétitive de l’échange. Mais S.Floirat a marqué un autre point et le plus important : il a réussi à donner par son récit une touche décisive à son image publique, en réinterpretant pour les besoins de la cause un épisode de sa vie de famille.

Sylvain Floirat

Cette interview de Sylvain Floirat, je l'écoute régulièrement. Je crois encore l'entendre "en vrai" ... et ses conseils sont toujours bienvenus à être re-entendus. A près de 90 ans, il me disait continuer à aller à son bureau place de l'Etoile, y faire des calculs difficiles - "mais tu sais, des opérations vraiment très difficiles, des multiplications, des divisions ... Je les fais ensuite corriger par Mlle Loth  (c'était sa secrétaire !) ... Il faut entretenir son cerveau ..."

Il disait aussi fréquemment - et il le redit dans sa radioscopie - que le premier sou gagné est le premier sou économisé.

Il avait beaucoup fait pour Nailhac et, lors d'une fête de la noix où un hommage lui était rendu, j'ai voulu faire un geste en sa mémoire. J'ai offert à la Commune une médaille en bronze le représentant au milieu de toutes ses activités symbolisées ... Il était mieux que cette médaille soit dans sa maison - celle que j'ai connue comme étant celle de sa soeur Madeleine et qui est devenue la mairie -. "La Chaumière" - sa chaleureuse demeure - où il m'enseignait le protocole (!) a été vendue et est devenue ... un désastre ...

Je n'ai pas eu le sentiment que cette médaille aurait la place qu'elle méritait et ... j'ai finalement regretté de m'en être séparée.

Je garde ce disque - un 33 tours ! - que j'ai un jour prêté au journaliste Alain Bernard pour qu'il en fasse une copie. Nous sommes ainsi sûrs que les périgourdins qui voudront un jour entendre la voix rocailleuse de Sylvain Floirat interviewé par Jacques Chancel en auront la possibilité ...

Publicité
Publicité
Commentaires

Dans ma vie, j’ai tiré trop bas.
Quand je devais faire un discours, il y avait un conseiller pour me dire : "mettez cette phrase, cela fera plaisir à Untel" ou "supprimez cette phrase, elle gênerait Untel". J’ajoutais, je supprimais. Personne au fond ne m’en savait gré et je m’étais seulement un peu dégradé.
J’ai accepté trop de compromis.
Refusez. Soyez vous-mêmes. Montez, montez le ton. Visez plus haut. … plus haut
(Georges Pompidou, 27 mars 1974 - date de son dernier conseil des ministres)

Publicité

Logo Linkedin

Newsletter
Publicité